Si la richesse des Jardins suspendus de Cohons doit beaucoup à leur exceptionnel patrimoine de pierre sèche et à leurs fabriques emblématiques, la diversité des types de jardin qui y est proposée constitue l’autre intérêt majeur du site.
En effet, s’y côtoient ou plutôt s’y imbriquent un jardin vivrier en terrasses, une promenade romantique, une garenne et sa forêt séculaire, le tout formant sur près de neuf hectares le Clos de la Roche auquel il faut adjoindre un vaste parc pittoresque de près de deux hectares, le Parc des Escargots de pierre, agrémenté de quelques terrasses et de plusieurs fabriques dont deux monumentaux belvédères de pierre sèche, qui sont devenus au fil du temps l’emblème de Cohons et de ses jardins.
Un peu d’histoire…
Il fallut beaucoup de patience et de labeur pour édifier ces trois jardins aujourd’hui réunis. L’histoire de leur création se déroule sur près d’un siècle et demi, depuis le milieu du 18e siècle quand Nicolas Daguin commence à ériger son jardin en terrasses jusqu’à la fin du 19e siècle lorsque Gaston Jacquinot, alors seul propriétaire de l’ensemble du domaine, parachève l’œuvre en édifiant la majestueuse rampe qui donne accès aux terrasses depuis la rue. De la patience sans doute encore pour extraire, façonner et assembler à sec toutes ces pierres qui constituent les murs de soutènement des terrasses, les murs de clôture et les fabriques. Plus de quatre kilomètres de murs, imaginez le volume et le poids de ces moellons qu’il a fallu débiter et transporter au pied des ouvrages, et le coût de tout cela !
Pour comprendre les motivations de leurs créateurs, il faut se rappeler que jusqu’à la Révolution, la France connaît régulièrement des crises frumentaires et des famines. À quoi bon être fortuné et vivre dans un bel hôtel particulier à Langres devait se dire Nicolas Daguin si je ne peux nourrir correctement ma famille, si je n’ai rien de raffiné ou de rare à servir à mes hôtes de marque. Pour pallier cela, le jardin en terrasses de Daguin est d’abord un jardin vivrier, c’est-à-dire un jardin planté en potager pour les légumes, en verger pour les fruits et en vigne pour assurer la production du vin nécessaire aux usages de l’époque. Un hectare de potager et de verger, c’est ce que l’on considère alors comme nécessaire pour subvenir aux besoins alimentaires d’une famille et de sa domesticité. Le climat particulier qui règne à Cohons, au pied de la falaise qui protège des gelées et du vent glacial venant du nord, permet la culture de variétés précoces ou plus fragiles telles que des melons ou des asperges, attestés à Cohons dès cette époque.
Les parties hautes du jardin sont aménagées comme autant de balcons dominant les terrasses et les rues du village, serrées autour du clocher de l’église Notre Dame de la Nativité. La falaise est littéralement percée pour permettre à un escalier accroché à la paroi de déboucher sur le plateau qui surplombe le site, tandis que la salle voutée et le pavillon du billard offrent des points de vue remarquables et diversifiés sur le paysage des jardins.
Daguin, homme éduqué et lettré ne méconnaissait pas les idées des Lumières et s’engageât pleinement, sans esprit de retour, dans la Révolution et ses idées nouvelles issues du mouvement philosophique qui domina le monde des idées en Europe à cette époque. Où a-t-il puisé son inspiration pour aménager le parc dans le style pittoresque à la mode alors qui prolonge et surligne son jardin en terrasses ; nous ne le savons pas. Cette sorte de jardin anglais ou pittoresque, littéralement digne d’être peint, dont le style est conçu pour frapper l’œil et flatter les sens plutôt que pour satisfaire la raison par la rigueur de sa composition commençait à se diffuser largement. Peut-être a-t-il été inspiré par les Cahiers des jardins anglo-chinois à la mode, richement illustrés, que publia G.-L. Le Rouge en 1776. Dès 1790, le jardin est étendu vers l’Est avec de hautes terrasses vivrières mais aussi utilitaires comme celle de la source avec son bassin permettant le stockage de l’eau pour les cultures. En avril 1808, Nicolas Daguin acquiert les 2/3 des 13,5 ha de la forêt de Lahie située sur le plateau (ancien domaine de l’évêque de Langres), juste en surplomb de ses terrasses, qu’il fait clore de hauts murs. Les « fabriques » qu’il érigeât au cœur même du calcaire de la falaise pourraient y figurer sans rougir : pavillon du billard et salle voutée donnant accès à une galerie belvédère, escargot de pierre conique en pierre sèche, escalier accroché à la falaise pour mieux la transpercer à son sommet et livrer passage vers un balcon d’où l’on découvre une vue sur les terrasses et le village en contrebas. De grandes allées cavalières ombragées de charmes ou d’ifs permettent de faire le tour du Clos de la Roche tandis qu’un chemin s’insinue entre les hautes futaies, franchissant un faux ravin par un pont de pierre moussu.
Des aménagements paysagers originels, certains ont disparus comme sans doute un labyrinthe de buis qui devait étaler ses méandres jusqu’au pied de l’escargot de pierre sèche, belvédère permettant d’embrasser du regard trois provinces. Plusieurs décennies sans véritable entretien du domaine ont laissé libre court à la végétation avant que la Commune de Cohons ne reprenne la gestion des Jardins suspendus et engage avec volontarisme une restauration complète du site en 2012.
Quant au rebord du plateau, il est aménagé en promenade romantique qui suit les sinuosités de l’à-pic et joue avec nos peurs et nos sentiments les plus divers, offrant une multitude de points de vue soigneusement calculés sur tous les éléments remarquables du paysage. De grands arbres trouent le ciel, ferment les perspectives comme pour mieux nous perdre : cèdres du Liban, ifs, tilleuls des salles de fraîcheurs, houx. Les plantations, savamment disposées, concourent à susciter des émotions, à exalter la poésie des lieux et à recréer l’effet produit par la nature sur l’âme humaine.
Daguin décède en 1810 ; sa veuve et ses enfants poursuivent le projet initial en aménageant le sentier de la corniche et ses bancs panoramiques, la garenne avec la cabane de la biche, ainsi que les nombreuses autres fabriques du parc. Dès lors, le parc et son jardin en terrasses deviennent le Clos de la Roche pour les villageois et les propriétaires qui se succèderont.
Articles connexes :
- Le Jardin en terrasses, le Clos de la Roche
- Le Parc des Escargots de Pierres
- Le village de Cohons, un patrimoine remarquable
- Le potager
- Les Vignes
- Le verger
- Le calcaire Idéal
- Le savoir-faire de la pierre sèche
- Le chantier d’insertion
- Les stages